Publiée le 06/07/2022

Deux décisions intéressantes du Conseil d'Etat en 2022

Dans un premier arrêt, le Conseil d'Etat souligne le 22/03/2022 qu’en matière de maladie, l’existence de deux infirmités suffit à entraîner l’application des règles régissant le cas d’infirmités multiples et que ces deux infirmités peuvent s’entendre aussi bien de maladies contractées par le fait ou à l’occasion du service, ou de maladies étrangères au service mais aggravées par le fait ou à l’occasion de celui-ci : le minimum indemnisable n’est pas de 30 % mais de 10%, y compris si l’ouverture du droit à pension pour ces deux infirmités a été demandé en même temps et qu’elles sont examinées dans le cadre de la même instance.

I - Les faits :
Monsieur K… a contesté la décision du 1er juillet 2008 par laquelle le Ministre de la Défense a rejeté sa demande de pension militaire d'invalidité (formulée en 2002 !). Le Tribunal des pensions militaires d'invalidité de MARSEILLE a procédé en deux temps :
- Le 11 juin 2015, il a reconnu à Mr K… un droit à pension pour « trouble anxiodépressif » au taux de 30% et ordonné une expertise portant sur ses autres infirmités,
- Puis, le 9 mai 2019, le Tribunal a infirmé la décision de rejet du Ministre du 1er juillet 2008 et a reconnu à Monsieur K… un droit à pension militaire d'invalidité notamment pour hypertension artérielle avec retentissement cardiaque (15%).
Par arrêt du 15 juillet 2020, la Cour Administrative d’Appel de MARSEILLE, saisie par la Ministre des
Armées, a annulé le jugement du Tribunal des Pensions de MARSEILLE du 9 mai 2019 et a rejeté toutes
les demandes de Monsieur K…
Ce dernier a saisi le Conseil d’Etat en lui demandant d’annuler l’arrêt de la Cour Administrative d’Appel de
MARSEILLE du 15 juillet 2020, uniquement en ce qu’il lui a dénié le droit à pension pour l’infirmité liée à
l’hypertension artérielle.
L’arrêt n°442509 du Conseil d’Etat du 22 mars 2022 annule l’arrêt de la Cour :
En matière de maladie, le taux d’invalidité minimum pour obtenir une PMI est de 30 %.
Régulièrement, lorsqu’un militaire déjà pensionné subit une autre infirmité qui constitue soit une maladie
partiellement imputable au service soit une aggravation de maladie étrangère au service, les juridictions
l’examinent isolément et refusent tout droit à pension si elle n’entraîne pas un taux au moins égal à 30%.
C’est ainsi que la Cour Administrative d’Appel de MARSEILLE avait estimé que l’hypertension artérielle
avec retentissement cardiaque de Monsieur K… était étrangère au service mais aggravée par le seul fait
du service et que le taux d’invalidité qu’elle entraînait était de 15% dont seulement 10% imputables au
service : considérant que le taux d’invalidité de 30% constituait le minimum indemnisable en matière de
maladie, elle avait jugé qu’elle n’ouvrait pas droit à pension.
Or, le Conseil d’Etat considère que la Cour a commis une erreur de droit et qu’elle aurait dû appliquer les
règles qui régissent la présence d’infirmités multiples, puisque Monsieur K… était déjà pensionné pour
maladie « trouble anxiodépressif » : seul le minimum indemnisable de 10% lui était applicable.
Dans un premier temps, le Conseil d’Etat rappelle en effet que, pour qu’en présence d’infirmités multiples
résultant exclusivement de maladie, l’aggravation par le fait ou à l’occasion du service d’infirmités
étrangères au service ouvre droit à pension, deux conditions doivent être réunies :
- Le taux d’aggravation doit atteindre à lui seul le minimum indemnisable de 10%,
- Le degré d’invalidité total entraîné par les infirmités multiples doit être supérieur ou égal à 40%.
Puis, le Conseil d’Etat se penche sur la deuxième condition requise : il souligne que, pour la prise en
compte du degré d’invalidité total de 40 % entraîné par les infirmités multiples, il convient de prendre en
compte tant les infirmités survenues par le fait ou à l’occasion du service, que les aggravations par le fait
ou à l’occasion du service d’infirmités étrangères au service.
C’est ainsi que le Conseil d’Etat conclut que, « en ne prenant pas en considération, pour apprécier le droit
au bénéfice d’une pension au titre de l’aggravation de l’hypertension artérielle, l’existence de l’affection
« trouble anxiodépressif » au titre de laquelle une pension militaire d'invalidité a déjà été allouée à
l’intéressé et en ne regardant pas ces deux affections comme des infirmités multiples au sens du 3° de
l’article L4 du Code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, la Cour Administrative
d’Appel a commis une erreur de droit » en ne reconnaissant pas à Monsieur K… un droit à pension pour
l’infirmité liée à l’hypertension artérielle, alors que le minimum indemnisable de 10% était atteint.
Ainsi, en matière d’aggravation par le service, d’une maladie qui lui est étrangère, les juridictions des
pensions militaires d'invalidité ne peuvent exiger un taux minimum indemnisable de 30%, s’il existe d’ores
et déjà une infirmité pensionnée constituant une maladie ou une aggravation par le fait du service d’une
infirmité étrangère à celui-ci.
A noter que ce qui est valable pour une maladie étrangère au service aggravée par le fait ou à l’occasion
de celui-ci est de plus fort applicable pour une maladie entièrement imputable au service.
Le Conseil d’Etat ne distingue pas selon qu’il s’agirait d’une demande initiale de pension ou d’une demande
de révision pour aggravation, ni selon que l’infirmité préexistante aurait donné lieu à pension dans le cadre
d’une instance préalable, ou pendant la même instance. En l’espèce, il applique cette règle alors même que l’ouverture du droit à pension pour ces deux infirmités avait été demandé en même temps et qu’elles étaient examinées dans le cadre de la même instance. Dans un second temps, le Conseil d’Etat décide de régler l’affaire au fond :
- En appliquant la « règle de BALTHAZAR » et l’article L14 du Code des pensions militaires
d'invalidité et des victimes de guerre (voir notre article « Arrêt du Conseil d’Etat du 27 avril 2021 »),
- En constatant que le taux d’invalidité résultant des infirmités multiples est supérieur à 40% puisque
égal à 40,5%, et alloue à Monsieur K… une pension militaire d'invalidité au taux de 45%, en
rappelant que le degré d’invalidité s’apprécie de 5 en 5.
Cet arrêt est très intéressant pour les personnes affectées d’infirmités multiples de type maladie, y compris
si leurs instances sont actuellement en cours.

Dans un second arrêt du 14 juin 2022, le Conseil d’Etat souligne, en écho à son arrêt du 22 mars 2022, que l’existence de deux infirmités, de type blessure et maladie, suffit à entraîner l’application des règles régissant le cas d’infirmités multiples, y compris si l’ouverture du droit à pension pour ces deux infirmités a été demandé en même temps et qu’elles sont examinées dans le cadre de la même instance : le minimum indemnisable pour la maladie n’est pas de 30 % mais de 10%.

I – Les faits :
Monsieur C…, ressortissant Ukrainien, s’est engagé dans la Légion Etrangère en 2009. En 2015, il a formulé une demande de pension militaire d'invalidité au titre notamment d’un syndrome anxiodépressif et des séquelles d’une fracture de la mandibule. En 2017, la Ministre des Armées a rejeté sa demande, ce qui l’a contraint à saisir le Tribunal des Pensions Militaires d'Invalidité de MARSEILLE. Après jugement avant dire-droit du 31 janvier 2019, le Tribunal a, par jugement du 8 août 2019 :
- D’une part, partiellement annulé la décision ministérielle de rejet du 21 décembre 2017,
- D’autre part, octroyé à Monsieur C… une Pension Militaire d'Invalidité au titre de son
syndrome anxiodépressif et de ses séquelles de fracture de la mandibule.
Saisie par la Ministre des Armées, la Cour Administrative d’Appel a annulé les deux jugements
du Tribunal des Pensions de MARSEILLE ainsi qu’une partie de la décision du Ministère des
Armées de 2017 et alloue à l’intéressé une pension militaire d'invalidité au taux de 20%.
Monsieur C… a saisi le Conseil d’Etat contre cet arrêt de la Cour, dès lors notamment qu’il a
rejeté sa demande de pension au titre de l’infirmité « syndrome anxiodépressif ».
II – L’arrêt n°445971 du Conseil d’Etat du 14 juin 2022 annule l’arrêt de la Cour :
La Cour Administrative d'Appel était en présence d’une blessure (fracture de la mandibule) qu’elle
reconnaissait comme ouvrant droit à pension, et d’une maladie (syndrome anxiodépressif)
étrangère au service mais aggravée par le fait ou à l’occasion du service.
Le Conseil d’Etat relève que, pour déterminer si la maladie ouvrait droit à pension, la Cour
Administrative d'Appel s’est trompée de règles applicables : elle s’est fondée sur celles qui
concernent les infirmités résultant exclusivement de maladies et a exigé un degré d’invalidité total
de 40%, alors qu’elle aurait dû se baser sur celles qui concernent les cas de cumul d’infirmités
résultant de blessure et de maladie. Le Conseil d’Etat rappelle ainsi que « dans le cas d’infirmités multiples résultant de maladie et de blessure, l’aggravation par le fait ou à l’occasion du service d’une infirmité étrangère à celui-ci ouvre droit à pension » à deux conditions :
- Le taux d’aggravation imputable au service doit atteindre le seuil minimum indemnisable
de 10%,
- Le degré d’invalidité total entraîné par ces infirmités multiples doit être supérieur ou égal
à 30% (et non à 40%).
Le Conseil d’Etat ne distingue pas selon qu’il s’agirait d’une demande initiale de pension ou d’une
demande de révision pour aggravation, ni selon que l’infirmité préexistante aurait donné lieu à
pension dans le cadre d’une instance préalable, ou pendant la même instance.
En l’espèce, il applique cette règle alors même que l’ouverture du droit à pension pour ces deux
infirmités avait été demandé en même temps et qu’elles étaient examinées dans le cadre de la
même instance.
Cet arrêt apparaît dès lors comme étant le pendant de celui rendu par le Conseil d’Etat le 22 mars
2022 relativement à un cas d’infirmités multiples résultant exclusivement de maladie (voir notre
article « Arrêt du Conseil d’Etat du 22.03.2022 »). Ainsi, le Conseil d’Etat décide que dès lors qu’un militaire bénéficie déjà d’une pension militaire d'invalidité pour blessure, les juridictions administratives doivent appliquer les dispositions relatives au cas d’infirmités multiples lorsqu’elles sont en présence d’une maladie étrangère au service aggravée par le fait ou à l’occasion de celui-ci : elles ne peuvent donc plus demander
l’application d’un taux global minimum indemnisable de 40%, celui-ci passant à 30%.
A noter que ce qui est valable pour une maladie étrangère au service aggravée par le fait ou à l’occasion de celui-ci est de plus fort applicable pour une maladie entièrement imputable au service.
Réglant l’affaire au fond, le Conseil d’Etat, après avoir fait application de la règle de BALTHAZAR
et de l’élévation des degrés d’invalidité pour chaque infirmité supplémentaire voir notre article
« Arrêt du Conseil d’Etat du 27 avril 2021 »), fixe à 40% la pension militaire d'invalidité de Monsieur C…, pour les deux infirmités.
Cet arrêt est très intéressant pour les personnes affectées d’infirmités multiples de type maladie et blessure, y compris si leurs instances sont actuellement en cours.

Actualité rédigée par Admin ubft le 06/07/2022 à 11h29