Corps de l'article L125-1
Le taux d'invalidité reconnu à chaque infirmité examinée couvre l'ensemble des troubles fonctionnels et l'atteinte à l'état général.
Le taux d'invalidité reconnu à chaque infirmité examinée couvre l'ensemble des troubles fonctionnels et l'atteinte à l'état général.
Cet article reprend le dernier alinéa de l'ancien article L. 10 (les trois premiers alinéas faisant l'objet de l'article L. 125-5), que peu se sont risqués à commenter jusque-là, tant ces deux composantes du taux d’invalidité de chaque infirmité pensionnée - que sont les « troubles fonctionnels (ou « gêne fonctionnelle ») et « l’atteinte à l’état général » - soulèvent en réalité de questions, aussi pratiques que doctrinales d’ailleurs.
Évaluer le taux d'une infirmité en tenant compte de l'ensemble des troubles fonctionnels et de leur incidence sur l'état général paraît relever de l'évidence, étant entendu que la détermination du taux se fera toujours en application du guide barème (cf. L. 121-4). Le texte précise « de chaque infirmité », ce qui exclut une évaluation globale et renvoie, implicitement, au caractère impératif des diagnostics prévus (cf. commentaire de L. 125-6).
Le texte ajoute « fonctionnels », donnant ainsi la prééminence à la fonction d'un membre ou d'un organe.
La « fonction » c'est l'exercice normal, l'activité propre et naturelle. En d'autres termes, c'est la conformité au rôle à remplir dans le corps, afin que l'ensemble des opérations coordonnées nécessaires à la vie, soit maintenu : fonctions digestives, respiratoires, circulatoires etc., auxquelles correspondent des organes précis.
Il y aura lieu aussi de prendre en considération, dans le taux d'invalidité, les incidences de l'infirmité sur l'état général de la victime, cela s'entendant tant de l’état physique, que psychologique et, là, à l'évidence c’est plus délicat.
Au-delà de ces difficultés médicales, il y a une importante question juridique qui se profile :
Si la pension militaire d'invalidité n'indemnise que les troubles fonctionnels et l'atteinte à l'état général, elle devrait être cumulable avec d'autres indemnisations, servies par d'autres régimes dont la finalité est la réparation de préjudices distincts : préjudice professionnel, pertes de revenus, souffrances endurées, troubles ressentis dans les conditions d'existence personnelles, familiale, sociales... Or, le caractère forfaitaire de la pension semble s'y opposer, et, à supposer que l'on y échappe, ne risque-t-on pas alors d'aboutir à une double indemnisation ?
Cette notion de « troubles fonctionnels » (à laquelle on préfère souvent celle de « gêne fonctionnelle ») exclut que le taux d'invalidité soit déterminé à partir des seuls résultats de l'iconographie médicale. Quel que soit l'intérêt diagnostique d'une radiographie, d'un scanner, d'une IRM, le compte rendu ne met pas en évidence, à lui seul, une gêne fonctionnelle, tout au plus peut-il la conforter, en l'expliquant. C'est pourquoi, les barèmes accordent une large place aux mensurations, aux degrés de mobilité, aux raideurs et aussi, à la fréquence des crises algiques ou des incapacités motrices, correspondant aux infirmités qu’ils décrivent (ils ne sont pas exhaustifs). La description qu'ils donnent doit être respectée et servir de base à l'estimation du taux, quelle que soit la nature de l'atteinte ou sa localisation (cf. commentaire de L. 125-6).
Tous les rhumatologues et orthopédistes ont pu constater en clinique que la victime présente souvent des plaintes ou des doléances que ne reflète pas l'iconographie médicale, et inversement. Cela ne signifie pas qu'il y a « majoration » ou au contraire « minoration » de la part du patient, mais seulement que le ressenti fonctionnel et algique quotidien n'est pas en adéquation avec l'image donnée par les résultats de ces investigations. Cette réalité fait partie de la diversité des êtres humains. Combien de fois a-t-on pu s'étonner en pratique, que tel grand blessé de guerre paraît s'accommoder des très graves séquelles qu'il présente, alors que d'autres, beaucoup moins atteints, s'enferment dans une totale sédentarité !
Si la « gêne fonctionnelle » et « l'atteinte à l'état général » doivent prendre en compte cet aspect « subjectif », la détermination du taux d'invalidité ne saurait néanmoins inclure des considérations d'ordre social, professionnel, sportif, etc… En conséquence, la pension ne peut tenir compte de la réduction de capacité de travail, sauf dans le cas précis où une disposition légale le précise, tel l'article L. 131-2. Cela signifie qu’un pianiste, amputé d’une main, aura la même pension que celle accordée à un ébéniste, pour la même blessure.
Dans le même sens, le potentiel évolutif d'une infirmité ou, les risques à venir, ne peuvent participer à la détermination du taux d'invalidité. Sur l'ensemble de ces points, on peut citer les décisions de la CSCP n°30513 du 10 décembre 1982 (il y est réaffirmé qu’on ne saurait prendre en compte le retentissement de l’infirmité sur la vie professionnelle pour la fixation du taux d’une PMI), n°37427 du 18 mars 1994 (décision censurée parce qu’avaient été prises en considération des répercussions socio-professionnelles pour justifier du taux d’invalidité retenu) ou, encore, n°38355 du 26 janvier 1996.
Enfin, ces dispositions de L. 125-1 trouvent un écho certain dans l'article L. 151-6 qui réaffirme que, l’évaluation de l’infirmité, doit toujours être motivée par des raisons médicales (cf. CSCP n°35835 du 21 mai 1992) : s’agissant d’une PMI, « gêne fonctionnelle » et « atteinte à l'état général » doivent, seules, justifier le pourcentage attribué.
On rappelle, à cet égard, que dans la plupart des cas et des barèmes compilés dans le guide barème, les taux d’invalidité qui sont fournis, le sont avec valeur indicative, seulement (sauf s’il s’agit d’amputations ou d’exérèse d’organe). C’est ce que rappelle d’ailleurs, encore, le Conseil d’État dans sa décision n°387796 du 17 novembre 2017, qui est aussi intéressante pour les indications qu’elle contient, relatives à « l’atteinte à l’état général », que les juges ont parfois tendance à négliger (et qui avait même failli disparaître lors de la réécriture des articles, dans le cadre de la refonte du code… ce qui avait pu être rectifié sur intervention de « GT-Refonte »).
« L'atteinte à l'état général » justifie, la plupart du temps l'introduction d'éléments nouveaux dans le libellé de l'infirmité pensionnée. Ainsi, une blessure abdominale entraînant une intolérance médicamenteuse, une malabsorption avec intolérance digestive…, sous réserves de réviser le taux d'invalidité en conséquence de cette atteinte de l'état général. Dans le même sens, une asthénie causée par des séquelles de blessure ou une maladie peut faire partie de la description de l'infirmité, sous réserves qu'il ne s'agisse pas d'une victime relevant du « barème de l’internement et la déportation » qui prévoit l'indemnisation distincte de l'asthénie. Ces exemples pourraient être multipliés (cf. C.E. n°397796 du 17 novembre 2017, précité).
Il faut donc veiller à la rédaction des libellés des infirmités, mais aussi aux règles qui président à une application rigoureuse du guide barème, lors de chaque opération devant aboutir à la fixation d’un taux d’invalidité.
Convient-il d'aller plus loin et de conclure que l'article L. 125-1 contient une définition de la nature et de la finalité du droit à pension ?
La tentation est grande mais ce serait, à notre avis, perdre de vue que le code des PMI contient bien d'autres dispositions destinées à assurer, aussi pleinement que possible, le « droit à réparation », ce qui demeure la finalité assignée, depuis sa création, par l'article L. 1 du CPMIVG. L'article L. 125-1 s'inscrit donc, nécessairement, dans cet ensemble de textes et il ne faut pas, à notre avis, lui donner plus d’importance qu’il n’en a.
La rédaction de l'article L. 125-1 impose de constater que c'est « le taux d'invalidité reconnu à chaque infirmité » qui « couvre l'ensemble des troubles fonctionnels et l'atteinte à l'état général » et, non, le droit à pension en tant que tel. Il ne faut donc pas tirer de la rédaction de ces dispositions une définition du droit à pension militaire d'invalidité, voire de sa nature et de sa finalité, même si celle-ci ouvre, nécessairement le champ de la réflexion, notamment au vu des évolutions constatées depuis les dernières décennies.
Certes, la pension militaire d'invalidité a toujours eu un caractère forfaitaire, au point de parler du « forfait de pension », ce qui à l’époque de sa création (1919) était très innovant. Il n'est pas, ici, inutile de rappeler toutes les conséquences que l'on tirait de ce caractère forfaitaire : la « pension de guerre », comme on l’appelait couramment, était exclusive de toute autre forme de réparation complémentaire ; sauf, cependant, à pouvoir démontrer l’existence d’une faute de l’État, conformément aux règles du droit commun de la responsabilité administrative.
Aujourd'hui, force est de constater que le caractère forfaitaire de la pension, qui demeure, a quelque peu plié sous la nécessité d'une réparation plus complète, afin de rapprocher un peu l’indemnisation des ressortissants du CPMIVG de celle, intégrale, accordée aux victimes dites « de droit commun ». Il faut cependant, souligner d’emblée que les deux évolutions majeures, en la matière, ayant concerné, d’abord, les seuls appelés du contingent, puis, tous les personnels militaires, se sont faites en dehors du CPMIVG, et ne sont concrétisées que par le mécanisme de la transaction amiable, éventuellement suivie d’un recours contentieux.
En ce qui concerne les appelés du contingent, blessés alors qu’ils accomplissaient leur service national c’est, en effet, la loi 83-605 du 8 juillet 1983 qui est venue modifier l’article 62 du code du service national ; ainsi fut instaurée, sans rétroactivité (cf. sur ce point la fiche de jurisprudence annexée), une réparation complémentaire, destinée à assurer l'indemnisation intégrale du préjudice subi par un appelé à la suite d'un accident de service, lorsque la responsabilité de l’État était engagée.
En ce qui concerne les militaires, l’apport est venu du Conseil d’État qui ne pouvait que leur étendre sa jurisprudence concernant des agents de la fonction publique d’État (CE n°211106 du 4 juillet 2003), ou des collectivités territoriales (CE n°224276 du 15 juillet 2004) ; tel avait été l’objet de sa décision n°258208 du 1er juillet 2005, dite « jurisprudence Brugnot » qui permet, depuis, d’indemniser, en sus de la PMI, dans le cadre d’un protocole transactionnel, quelques-uns des préjudices dits personnels, comme les souffrances endurées (avant consolidation), le préjudice esthétique, le préjudice dit d’agrément (qui s’entend, restrictivement, comme étant celui lié à l’impossibilité de continuer à pratiquer une activité spécifique, sportive ou de loisir), le préjudice sexuel, le préjudice d’établissement (lié à l’impossibilité de fonder une famille).
Néanmoins, et suivant un principe général du droit, la réparation accordée (tous systèmes confondus) ne saurait avoir, pour conséquence, un enrichissement et donc une double indemnisation.
Dans le code, force est de constater que le déficit fonctionnel est pris en considération, que les algies (et donc la douleur) sont indemnisées dans le cadre de textes précis des barèmes, dès lors qu'elles s'inscrivent dans la permanence, que la défiguration (qui s’analyse comme un préjudice esthétique particulier pour les conséquences qu’elle engendre) est pensionnée au titre du guide barème, depuis 1925, que la tierce personne doit être accordée dans certaines situations particulièrement graves... Il apparaît ainsi que ce droit à réparation n'est pas limité aux seuls troubles fonctionnels justifiant une évaluation forfaitaire sur la base des barèmes applicables.
Dès lors, se pose la question de savoir quels sont les préjudices que la PMI n'a pas pour objet de réparer.
La jurisprudence récente du Conseil d'État tend à interpréter « troubles fonctionnels et atteinte à l'état général » au sens le plus large, compensant tout à la fois, maintenant, les pertes de revenus, l'incidence professionnelle en sus du déficit fonctionnel, seul admis jusque-là et, ce, en son acceptation la plus large. C’est en effet ce qu’il convient de déduire de la décision du Conseil d’État n°338532 du 7 octobre 2013, qui semble signifier que la PMI ne se définit plus, aujourd’hui, que par opposition, à ce qui n’entre pas dans le champ de la réparation complémentaire (d’origine purement prétorienne) « Brugnot » :
« La pension militaire d’invalidité doit être regardée comme ayant pour objet de réparer, d’une part, les pertes de revenus et l’incidence professionnelle de l’incapacité physique et, d’autre part, le déficit fonctionnel, entendu comme l’ensemble des préjudices à caractère personnel liés à la perte de la qualité de la vie, aux douleurs permanentes et aux troubles ressentis par la victime dans ses conditions d’existence personnelles, familiales et sociales, à l’exclusion des souffrances éprouvées avant la consolidation, du préjudice esthétique, du préjudice sexuel, du préjudice d’agrément lié à l’impossibilité de continuer à pratiquer une activité spécifique, sportive ou de loisirs, et du préjudice d’établissement lié à l’impossibilité de fonder une famille ; que lorsqu’elle est assortie de la majoration prévue à l’article L. 18 (L. 133-1) du code, la pension a également pour objet la prise en charge des frais afférents à l’assistance par tierce personne ; »
Force est de constater que l'évolution légale et jurisprudentielle a été telle au cours de ces dernières décennies, qu'il est devenu impossible de savoir avec précision quelle est, finalement, la nature ou la finalité de la pension militaire d'invalidité, en dépit de cet article précis concernant les deux seules composantes susceptibles d’être prises en compte, pour déterminer le taux d’invalidité attribué à chaque infirmité pensionnée.
Sans entrer dans le détail des règles de cumul (articles L. 162-1 à L. 162-3, ainsi que R. 162-1) qui feront l'objet d'autres commentaires, il convient de garder présent à l'esprit que, l'indemnisation attribuée au titre d'un autre régime de réparation n'est jamais cumulable avec la PMI, pour le même chef de préjudice.
Tous les arrêts cités , et peut-être d’autres à venir, sont regroupés dans la fiche de jurisprudence, annexée à ce commentaire.
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