Corps de l'article L125-7
En cas de dissociation de l'infirmité en divers éléments, le taux d'invalidité de ceux-ci est déterminé d'après un barème unique.
En cas de dissociation de l'infirmité en divers éléments, le taux d'invalidité de ceux-ci est déterminé d'après un barème unique.
La rédaction actuelle de l'article L. 125-7 est très sensiblement différente de celle de l'ancien article L. 13.
Les articles L. 9 et L. 10 (aujourd'hui L. 125-3 et L. 125-1) posant le principe d'une évaluation correspondant à « l'ensemble des troubles fonctionnels », l'application d'un « barème plus favorable », désormais reprise à l’article L. 125-6, constitue une dérogation à ce principe en permettant, par référence à ces barèmes, de bénéficier d'un taux plus avantageux. Se posait donc la question évidente de la limite de cette exception. Pouvait-on mélanger plusieurs barèmes pour déterminer le ou les taux d'invalidité en fonction des éléments correspondant à l'infirmité en cause et procéder à une évaluation globale sur cette base, voire à la création d'infirmités multiples par dissociation de ses divers éléments ?
A cette question, l'article L. 13 répondait par la négative : les dispositions de l'article L. 12 ne permettent pas d'appliquer des barèmes différents, que l'infirmité soit évaluée globalement ou, dissociée en ses éléments.
Contrairement au texte antérieur, il n'est plus question, dans le nouvel article L. 125-7, que de la « dissociation d'une infirmité en ses divers éléments ». L'absence de référence, dans la nouvelle rédaction, à « l'évaluation globale d'une infirmité », peut surprendre, mais se trouve totalement justifiée par l'évolution de la jurisprudence au cours des décennies antérieures.
Par ailleurs, il peut exister des infirmités complexes, ou pensionnées sous un libellé « générique » englobant des troubles divers dont l'évolution sur plusieurs années (aggravation, complication médicale...) finit par imposer une révision pour tenir compte de cette évolution, voire de l'importance prise par tel ou tel élément.
Ces deux situations ne sont pas identiques et, en conséquence, la combinaison des règles posées par les articles L. 125-6 (ex L. 12) et L. 125-7, conduira, dans certaines situations, à ne pas se fonder sur un barème unique.
C'est la question très délicate que pose l'application de l'article L. 125-7, ici commenté.
Encore faut-il définir ce qu'est une infirmité unique.
Une atteinte auditive constitue une infirmité au sens commun du terme, qu'elle résulte d'une blessure ou d'une maladie. Mais les troubles auditifs en question peuvent comporter des manifestations diverses : baisse d'acuité, bourdonnements, vertiges auriculaires, voire des affections plus graves, suivant l'étiologie de la maladie, telles que otorrhées chroniques, ostéite... Faut-il considérer qu'il s'agit d'une infirmité unique en plusieurs éléments, ou d'infirmités multiples ?
Quel est le critère de distinction entre infirmité unique en plusieurs éléments et, infirmités multiples ?
La première notion qui vient à l'esprit est la suivante : constitue une infirmité unique l'affection qui a son existence propre ; les troubles qui ne peuvent exister distinctement sont des éléments d'infirmité. Il s'agirait donc d'une pure question médicale ou de fait et, non, d'un critère juridique. Or, une telle analyse se heurte à nombre de dispositions du guide barème, lequel trouve son origine dans la volonté du législateur et détermine les taux d'invalidité. Par exemple, le barème de 1915 indemnise en une seule infirmité « la surdité d'une seule oreille avec bourdonnements ou vertiges » au taux de 30% ; or, il n'est pourtant pas douteux que chacun de ces éléments a une existence propre et que tous ne sont pas nécessairement réunis après une lésion auriculaire ? C'est à ce point vrai que le barème de 1919 indemnise chacun de ces éléments en infirmités distinctes, justifiant chacune d'un taux propre.
Se contenter de considérer qu'il s'agit d'une question de fait relevant de l'appréciation souveraine des juges du fond n'est donc pas satisfaisant. D'autant moins que, très rapidement, la discussion risque de s'orienter et dévier vers des notions telles que celles de « conséquences d'une même blessure », de « lésions siégeant sur un même membre »... Pour tenter d'éviter ces errements, le Conseil d'État avait choisi le critère de « troubles pouvant exister séparément », ceux-là constituent des infirmités multiples ; en revanche, « les troubles qui sont la conséquence nécessaire les uns des autres » sont des éléments d'une infirmité unique.
Cette recherche prétorienne s'inscrivait surtout dans le cadre de l'application de l'article L. 11 de la loi Lugol, mais son incidence a été manifeste sur l'application de l'ancien article L. 13.
Le seul critère de l'unicité ou de la pluralité d'infirmités finit par être tiré, en toute logique, du guide barème. Il peut ainsi s'énoncer : La question de savoir si plusieurs éléments d'invalidité constituent une infirmité unique, ou des infirmités multiples, relève de l'appréciation souveraine des juges du fond, sauf dans le cas où une disposition des barèmes donne, des éléments d'invalidité considérés, une description telle, que ceux-ci doivent être regardés comme constituant, soit une infirmité unique, soit des infirmités multiples (arrêt du Conseil d'État Ass. plénière du 10 février 1954 Rec. 92).
Cette position n'a jamais varié ces dernières décennies (arrêts CSCP : N° 32 185 du 29 novembre 1985, N° 33 477 du 24 juillet 1987, N° 33 382 du 5 février 1988…).
C'est donc le critère du diagnostic impératif (cf. commentaire de l’article L. 125-6) qui préside à la distinction entre infirmité unique en plusieurs éléments et infirmités multiples, peu important que les troubles invoqués soient médicalement liés ou résultent d'une même cause. Cela est très logique, car les différents barèmes résultant de dispositions réglementaires trouvent leur origine dans la loi et président aux modalités d'évaluation des infirmités.
Il résulte des termes mêmes de l'article L. 125-6 que des infirmités multiples peuvent être appréciées, pour chacune d'entre elles, sur la base du barème le plus favorable. L'article L. 125-7 ne déroge pas à ce principe fondamental.
Le critère retenu étant celui du guide barème, cela signifie que chaque infirmité distincte pourra se voir attribuer un taux sur la base de l'un quelconque des barèmes (1887, 1915, 1919), sous réserves de respecter le caractère impératif du diagnostic et le taux d'invalidité en résultant, suivant les exigences du barème choisi (cf. commentaire de l’article L. 125-6).
Mais il ne saurait être question, pour une même infirmité, de mêler les éléments d'appréciation de divers barèmes et, donc, de faire un amalgame entre ces textes. Les descriptions et exigences propres à chaque barème devront être respectées. Toute confusion entre eux encourrait la censure.
Ainsi, une « dureté des deux oreilles » évaluée au taux de 10 à 15 %, dans le barème de 1915, devra être déterminée sur la base d'un examen acoumétrique, en tenant compte des distances auxquelles voix chuchotée et voix hautes sont perçues... il est, dans ce cas, impossible de se référer à la table d'évaluation résultant du barème de 1919, modifié par le décret du 3 décembre 1971 ; cela conduirait à confondre les deux barèmes dans l'évaluation d'une même infirmité. Que cette baisse légère d'acuité auditive ait pour cause un sono-traumatisme, une oto-toxicité médicamenteuse, une maladie autre, les bourdonnements, même résultant de même cause, pourront être évalués sur la base d'un barème distinct. En effet, s'agissant de cette infirmité, le guide barème ne prévoit pas d'indemnisation en une infirmité unique intitulée « dureté des deux oreilles et bourdonnements » : le barème de 1915 indemnise sous l'intitulé « surdité d'une seule oreille avec bourdonnements... » une infirmité unique, mais la surdité n'est pas la dureté d'oreille; quant au barème de 1887, il ne mentionne pas non plus une telle affection mais uniquement la « surdité complète des deux côtés... » et la « diminution très prononcée de l'ouïe des deux côtés... » ; enfin le barème de 1919 prévoit l'indemnisation distincte de l'hypoacousie et des bourdonnements. En conséquence, rien n'impose de faire application d'un seul et même barème.
C'est d'ailleurs en ce sens que la jurisprudence s'est prononcée (CSCP 23 mai 1995 N° 37995 et 37952). Après avoir rappelé le critère d'appréciation résultant du guide barème, sur l'unicité ou la pluralité d'infirmités, le Conseil d'État motive ainsi sa décision :
« Considérant qu'aucune disposition du code ne fait obstacle à ce que deux infirmités distinctes soient évaluées séparément d'après des barèmes différents lorsque, du moins, la définition donnée par chacun de ces barèmes s'applique exactement à la seule infirmité qu'il concerne.
Considérant, en l'espèce, que la cour régionale des pensions a constaté que M. X, déjà pensionné à titre définitif pour « acouphènes » en application du barème de 1919, était en outre atteint de « dureté des deux oreilles » ; que dès lors qu'elle estimait que cette dernière affection était distincte de l'infirmité pensionnée, la cour a pu légalement en évaluer l'invalidité d'après le barème de 1915 qui seul en prévoit le diagnostic... »
Le Conseil d'État n'a pas retenu une pluralité de cause ou d'étiologie mais, uniquement, un moyen tiré de l'application du guide barème à deux infirmités distinctes.
Dans tous ces cas, il s'agit de pensionner des infirmités distinctes et nullement d'opérer une dissociation des éléments d'une infirmité déjà retenue et évaluée globalement.
La notion de dissociation suppose, nécessairement, qu'une infirmité soit déjà globalement pensionnée et qu'une fois parvenu à individualiser chacun de ses éléments en tant qu'infirmité à part entière, il faille procéder à leur évaluation.
La situation n'est pas identique suivant qu'il s'agit d'une pension temporaire ou d'une pension définitive (Cf. L. 121-8 et R. 121-3 à R. 121-6), ce en raison de la règle dite de l’immutabilité des bases de la liquidation d’une pension :
Le terme, unique, recouvre bien des réalités différentes.
Exemple : la victime d'un traumatisme crânien se verra attribuer une pension sous l'intitulé suivant :
Séquelles de traumatisme crânien. Cicatrices douloureuses. Vertiges fréquents, céphalées. Troubles de la concentration et de la mémoire, état dépressif réactionnel : … 40% ”.
S'il s'agit là d'une première concession (donc temporaire pendant trois ans dans le cas d'une blessure en application de l’article R. 121-4), le pensionné pourra immédiatement déférer cet arrêté ministériel à la censure du Tribunal et invoquer que, cette infirmité unique en plusieurs éléments, viole les dispositions du guide barème, qui prévoit l'indemnisation distincte des séquelles de traumatisme crânien selon qu'elles constituent :
(toutes ces infirmités étant prévues par le décret du 17 mai 1974 modifiant le barème de 1919).
Après expertise judiciaire, le Tribunal se fondant sur le rapport appréciera, d'une part, la réalité de chacune de ces composantes et, d’autre part, le taux d'invalidité à attribuer à chacune d'elles en tant qu'infirmités à part entière, étant rappelé que le barème de 1919 est impératif en ce qui concerne les diagnostics des infirmités qu'il prévoit (Cf. le commentaire de L. 125-6).
Le cas précité est relativement simple et peut aboutir à une concession de pension plus importante, après dissociation, par exemple :
1ère infirmité :
« Syndrome subjectif des traumatisés crâniens »...................................................... 20%
2ème infirmité :
« Lésions du cuir chevelu avec cicatrices douloureuses »........................................ 15%+5
3ème infirmité :
« État dépressif réactionnel ».................................................................................... 10%+10
4ème infirmité :
« Troubles mnésiques »............................................................................................. 10%+15
Le taux global d'invalidité sera alors de 20% + 16% + 12, 8% + 12, 8% = 61, 6 % arrondis à 65% (pour comprendre ce calcul, on pourra se reporter au commentaire de l’article L. 125-8).
Il n’était que de 40%, avant dissociation.
L’hypothèse précitée vise le cas où les éléments de l’infirmité sont autant d’infirmités distinctes prévues par un barème; mais, bien souvent, le barème n’est pas aussi explicite. La question de la dissociation relève alors d’une appréciation souveraine des juges du fond qui statueront sur la base d’un rapport d’expertise médicale. L'élément déterminant ne sera plus, alors, le guide barème, mais la nature même des infirmités en cause. Il appartiendra dans ce cas au demandeur de démontrer que certaines composantes de l'infirmité ont entraîné une gêne fonctionnelle, telle, qu'elles constituent, désormais et en elles-mêmes, des infirmités à part entière, voire qu'elles résultent d'autres étiologies que celle qui a été retenue et n'ont, donc, pas leur place dans le libellé d'une infirmité unique, car elles justifient des indemnisations distinctes. Ainsi, en serait-il dans l'exemple précédent, si les troubles étiquetés « état dépressif réactionnel » constituaient un « syndrome de stress post traumatique » (Cf. décret du 10 janvier 1992), ayant son propre caractère évolutif, indépendamment du traumatisme crânien, qui n'en serait que le substratum organique. Néanmoins, il est clair que, dans ce cas précis, l'on reste dans le cadre du barème de 1919 (en l'occurrence, le décret du 17 mai 19174 et celui du 10 janvier 1992, modifiant tous deux le barème de 1919).
Le principe posé par l'article L. 125-7 est clair : en cas de dissociation, un barème unique doit être appliqué.
La réalité étant plus riche de diversité que tous les cas d'école imaginables, il arrive que le libellé d'une infirmité globalement évaluée comporte certains éléments correspondant exactement au diagnostic prévu par un barème précis plus favorable mais, aussi, d'autres éléments qui, bien que justifiant la dissociation, ne sont pas prévus par le même barème. Ces éléments définitifs ne peuvent pourtant pas disparaître du descriptif des infirmités pensionnées.
Exemple :
Une personne est pensionnée, à titre définitif, à la suite d'une grave blessure pour plusieurs infirmités dont : « séquelles de plaie abdominale par balle, transfixion hépatique et gastrique, cicatrices étendues, douloureuses, maladie ulcéreuse chronique gastro-duodénale » ... 60%.
Il est évident qu'un tel libellé constitue une violation de la loi et comporte des éléments qui constituent des infirmités à part entière, justifiant d'être prises en compte en tant qu'infirmités multiples. S'il ressort d'un rapport d'expertise judiciaire, non seulement qu'il existe une aggravation mais, aussi, que les « cicatrices étendues et douloureuses » peuvent être décrites comme constituant l'infirmité N° 47 de la 5ème classe du barème de 1887 au taux de 60%, et, qu'en revanche, le N° 31 (« Affection chronique de l’estomac consécutive à une maladie endémique… »), du même barème, n'est pas applicable à la maladie ulcéreuse gastro-duodénale, la dissociation deviendrait alors impossible, faute d'être opérée sur la base du seul barème de 1887, les autres infirmités imposant une appréciation dans le seul cadre du barème de 1919.
En fait comme en droit, cela pose à nouveau la question de la notion d'infirmité. Certes, dans cet exemple, c'est bien une infirmité et une seule qui est ainsi indemnisée, et c'est bien de sa dissociation qu'il s'agit, mais cet "étrange" libellé résulte de la réunion, voire de la confusion, de multiples séquelles de nature différentes qui, médicalement, ne peuvent constituer une infirmité. Pour résoudre la difficulté, il n'est qu'un moyen : oublier l'application du barème de 1887 et se référer au seul barème de 1919, voire à aucun ! Aussi juridiquement admissible et fondée que soit l'évaluation dans le cadre du barème unique, à appliquer strictement l'article L. 125-7, l'on aboutit à violer les dispositions de l'article L. 125-6, sauf à revenir, même dans le cas de dissociation pure, à la notion d'infirmités distinctes avant toute notion de dissociation. L'artifice est alors évident, mais il constitue, dans ces cas limites, la seule issue satisfaisante sur le plan de l'équité et du respect des principes fondamentaux régissant l'application du code.
L'article L. 125-7 vise le « cas de dissociation de l'infirmité », il s'agit donc et avant tout d'une notion médicale et non pas d'un libellé résultant de la concession de pension. Au demeurant, en présence d'une telle situation, la révision de pension pour aggravation permettant de remettre en cause les bases de liquidation, l'on ne voit pas pourquoi il serait impossible d'appliquer, à ces « faux éléments », des barèmes différents, après avoir constaté qu'ils constituent autant d'infirmités distinctes.
Si les diagnostics sont impératifs, quel que soit le barème appliqué, pourquoi ne pourrait-on appliquer à « l'ulcère chronique de l'estomac », le barème de 1919, après avoir indemnisé dans le cadre du barème de 1887 « les cicatrices étendues et douloureuses... » ? Le guide barème en donne, pour chacune, une description précise y correspondant. La réunion artificielle en un libellé unique ne correspond à aucune réalité médicale (si ce n'est celle du fait générateur) ; il s'agit en fait des conséquences d'une même blessure et non d'une même infirmité.
De plus, il convient d'observer qu'une fois établie l'importance de chacune des infirmités ainsi individualisées, ce ne sont plus « des éléments » mais, des « infirmités distinctes » qui, bien que réunies en un seul libellé, sont définies intégralement, pour chacune d'entre elles, par le barème utilisé.
Ainsi, le cas de la dissociation pose de multiples questions. Les solutions apportées sont loin d'être simples et claires ; elles doivent tenir compte de l'ensemble des textes qui président à l'évaluation des infirmités multiples, y compris celui de l'application du barème plus favorable. L'application de l'article L. 125-6 se heurte souvent à des impossibilités tenant à l'incomplétude de chaque barème, et, donc, à l'article L. 125-7, quand pareille difficulté apparaît, la seule solution acceptable est de conclure à l'absence de description précise dans l'un des trois barèmes et, de ce fait, à la liberté d'appréciation pleine et entière, sur le fondement des articles L. 125-1 et L. 125-5.
On ne saurait trop insister sur le fait que la notion de « dissociation » ne concerne qu'une infirmité déjà pensionnée et non, une ou plusieurs infirmités nouvelles ; celles-ci, par définition, n'ont pas à être dissociées, puisqu'elles n'étaient pas des éléments de l'infirmité indemnisée, et ne peuvent donc pas être concernées par l'article L. 125-7.
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